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Tuesday, June 29, 2021

Armement : l'Europe dans la course aux technologies stratégiques du futur - La Tribune

Le sujet tombe à pic. A la mi-juin, lors d'un sommet à Bruxelles, l'OTAN décidait de lancer un accélérateur pour d'innovation en matière de défense ainsi qu'un fonds l'innovation en vue d'investir dans des startups. Une décision qui s'inscrit dans une stratégie en matière de technologies émergentes et disruptives, entérinée par l'Alliance atlantique il y a quelques mois. Au programme : l'Intelligence Artificielle (IA), les systèmes d'armes autonomes, le big data, les biotechnologies, les technologies quantiques - autant de domaines en passe de changer la manière d'opérer de l'OTAN.

Comment ? « En tant que commandeur stratégique, j'ai besoin de comprendre vite, de continuer à dissuader, de maîtriser de nouveaux milieux - l'espace, le cyber, le domaine cognitif demain aussi, de prendre des décisions plus vite et de garantir la protection et la supériorité de nos forces », analyse le général André Lanata, commandant suprême de l'OTAN. Tout ceci dans un environnement stratégique en pleine évolution. D'un côté, « une compétition classique entre les grandes puissances, où il s'agit principalement de dissuader. Ici, le sujet est celui de l'hypersonique et de capacités de pénétration, qui font l'objet d'un développement top down », précise le général Lanata. Et de l'autre, une compétition de « zone grise, où de nombreux acteurs mobilisent des technologies pour s'en servir dans un champ de conflictualité sous le seuil du conflit armé », détaille-t-il.

La recherche industrielle en ébullition

Face à l'évolution des besoins militaires, mais aussi sur le terrain du civil, les champions industriels européens, comme Thales, planchent quotidiennement sur les technologies de rupture : l'IA, le quantique et les nanotechnologies, pour n'en citer que quelques-unes. « Depuis 2016, nous avons investi environ 7 milliards d'euros dans ce domaine », indique Patrice Caine, PDG de Thales. Les cas d'usage foisonnent. Exemple ? « L'utilisation des communications quantiques, avec l'échange de clés quantiques, doit nous permettre de rendre les communications impossibles à intercepter », avance le patron du géant de la défense. Dans l'aéronautique, l'IA quant à elle pourrait optimiser les trajectoires en vol des avions, permettant ainsi des économies de carburant. D'autres technologies, qui se préparent dans le laboratoire de recherche du groupe à Palaiseau, pourraient contribuer à relever le défi des émissions polluantes liées au numérique.

« Le fait de travailler sur les composants neuromorphiques qui miment le comportement du cerveau, avec des nanoneurones et des nanosynapses, doivent nous permettre d'économiser un facteur mille en matière de consommation énergétique », considère-t-il.

De même, l'IA, le calcul quantique, le cyber et les communications sécurisées sont le quotidien d'Airbus Defence and Space. « Nous étions les premiers à démontrer qu'on pouvait faire de la communication laser en espace entre satellites », affirme Dirk Hoke, directeur général délégué d'Airbus Defence and Space. Le constructeur européen investit aussi dans les technologies qui seront intégrées dans les systèmes à l'avenir, tel le système de combat aérien du futur SCAF - un système des systèmes, avec, au cœur, un nouvel avion de combat, qui nécessitera de maîtriser les connectivités et les communications sécurisées « d'une manière complètement différente d'aujourd'hui », avance-t-il.

Capteurs cognitifs, gravimètres quantiques... les pistes de l'ONERA

L'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) n'est pas en reste. Son expertise dans le domaine de l'IA, d'ailleurs, remonte à loin. L'établissement public avait développé dans les années 80 des algorithmes de reconnaissance et de classification de cibles par apprentissage pour résoudre les problématiques des frappes fratricides pendant la guerre du Golfe, comme le rappelle Bruno Sainjon, PDG de l'ONERA. Aujourd'hui, l'organisme développe, entre autres, le traitement de données issues des capteurs spatiaux ou des capteurs aéroportés. En outre, « nous essayons de mettre au point, tant dans le domaine des radars que de l'optique, des capteurs qui pourront, quand ils seront disponibles, être qualifiés de cognitifs, c'est-à-dire qu'ils pourront eux-mêmes définir un apprentissage et s'adapter en plein cœur de la mission », développe-t-il.
 
Sans oublier les solutions de recueil de renseignement d'origine électromagnétique. « Avec de tels savoir-faire, on est capable de détecter des signaux très faibles au sein d'un spectre très large, de manière à éviter une mauvaise surprise ou une menace non identifiée à nos opérationnels », poursuit Bruno Sainjon. Enfin, « nous sommes en passe de livrer à la Marine nationale des gravimètres quantiques à atomes froids », autrement dit, des instruments qui permettent de mesurer la gravité terrestre avec une très grande précision. Loin de la science-fiction, les technologiques quantiques développées par l'ONERA prennent d'ores et déjà le large...

Les atouts de l'Europe

Pour autant, les Etats-Unis et la Chine ont pris de l'avance dans certains domaines, notamment celui de l'IA. D'ailleurs, « l'Europe n'a pas réagi assez rapidement et il faut faire des investissements majeurs », pour combler le fossé admet Dirk Hoke. « Là encore, le SCAF pourrait faire la différence », poursuit-il. Mais les Européens, cependant, ne cessent de démontrer leur capacité à innover. Preuve s'il en est, Airbus Defence and Space vient de rendre publiques les premières images de son satellite Pléiades Neo 3, qui offre des images d'une résolution de seulement 30 centimètres. Dirk Hoke en est convaincu : « L'Europe va accélérer. Dans les années à venir, nos innovations pourront démontrer que l'Europe est compétitive ».
 
Autre exemple que le Vieux continent ne manque pas d'atouts : « En matière de publications scientifiques dans le domaine de l'IA, l'Europe et les Etats-Unis sont loin devant la Chine. Et dans les classements mondiaux, les Européens figurent en bonne classe », insiste Bruno Sainjon. Mieux, toujours selon ces classements, parmi les cinq meilleurs Européens figurent « Inria, Sorbonne Université et Paris Saclay ». La France n'a donc pas à rougir... Et de noter, par ailleurs, que « tout le monde reconnaît aujourd'hui que les télescopes européens sont supérieurs aux télescopes américains ». Une longueur d'avance dans un domaine particulièrement pointu...

Les défis de l'industrialisation

Reste qu'il n'est pas aisé de passer de la recherche académique à l'échelle industrielle pour que ces innovations bénéficient aux utilisateurs. « Cela doit se faire, entre autres, avec des coûts acceptables. Si les clients ne sont pas capables de se les offrir, cela ne sert à rien », souligne ainsi Patrice Caine. L'un des exemples sont les centrales inertielles quantiques à atomes froids. « Nous allons pouvoir améliorer la performance des centrales inertielles actuelles d'un facteur mille. Avec une centrale à atome froid, sur un vol transatlantique, dans le civil, la précision d'atterrissage va descendre au mètre », explique ce dirigeant. Si ces centrales existent d'ores et déjà dans les laboratoires de l'industriel, reste à les « rendre 'industriables' ou 'avionnables'. Il va falloir réduire considérablement la taille de l'objet, travailler sur la consommation et répondre à toutes les normes de l'aéronautique civile ».
 
Il faut également trouver des méthodes pour mieux s'articuler entre opérationnels et industriels. L'OTAN, par exemple, a créé un innovation hub et un innovation lab pour progresser sur les méthodes agiles dans le développement de logiciels. « Il s'agit d'associer, en plateaux, dans des logiques de développement itératives, des utilisateurs, des codeurs et des développeurs afin de progresser plus vite », témoigne le général Lanata.

Autre défi, « il y a un décalage entre le cycle d'acquisition - jusqu'à plusieurs années, et un cycle d'innovation technologique de quelques mois seulement », souligne de son côté Patrice Caine. « Il faut adapter les manières de travailler ensemble. Déjà, dans le cadre de l'Eurodrone ou du SCAF, nous collaborons entre industriels et clients d'une manière digitale complètement différente », assure pour sa part Dirk Hoke. « Nous travaillons sur les mêmes plateaux, où nous pouvons partager en temps réel des données pour développer des systèmes d'une manière agile », précise-t-il.

L'homme reste dans la boucle

Dans cette course au leadership industriel comme opérationnel, l'Alliance Atlantique a son rôle à jouer. « Le premier axe serait la compréhension des enjeux stratégiques liés à l'évolution de l'environnement », note le général Lanata. Ensuite, en tant qu'utilisateur de ces nouvelles technologies, l'OTAN peut aussi être « fédérateur et facilitateur à travers la définition des standards, la politique des données, la mise en réseau de centres d'innovation, ou le débat sur la dimension éthique et légale », résume le commandant.

Ce dernier point n'a d'ailleurs pas été oublié par les industriels, selon qui l'homme doit rester dans la boucle. « TrUE AI » (transparent, understandable, ethical) est ainsi l'approche de Thales, tandis que « ethic by design » est celle que s'est fixée Airbus Defence and Space. « C'est notre responsabilité de suivre une approche rationnelle et éthique », conclut le dirigeant d'Airbus Defence and Space.

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