Il suffisait de lire : en mars 1986, le plan 863 énonçait l'intention chinoise de rattraper et même doubler l'Occident dans toutes les technologies avancées.
« Convaincus de leur supériorité technologique, les Occidentaux ont pourtant considéré pendant des décennies que les Chinois ne se-raient jamais des concurrents sérieux », soupire Marie-Pierre Van Hoecke, ex-responsable du pôle innovation à la Délégation interministérielle à l'intelligence économique. Terrible aveuglement. Trente-cinq ans plus tard, les équipementiers de télécoms chinois ont conquis la planète. Le réseau TGV national, le plus long du monde, parcourt plus de 35 000 kilomètres ; la Chine fait voler ses propres avions de ligne sur son territoire ; elle a été la première à mettre en service des centrales nucléaires EPR, la première aussi à lancer un satellite de communication reposant sur la technologie quantique.
Ce bond prodigieux s'est fait grâce à une mobilisation de tout l'appareil d'Etat, appuyé par le système bancaire chinois. Mais aussi grâce au concours zélé des Occidentaux : en délocalisant leur production pour réduire leurs coûts, leurs industriels ont permis aux techniciens et aux ingénieurs chinois de se mettre à niveau, notamment à travers des transferts de technologies. « Fascinés par le mirage du milliard et demi de consommateurs, les Occidentaux ont accepté toutes les
Bond en R&D
Au début des années 2000, non contents d'installer des usines en Chine, les grands groupes - Saint-Gobain, Schneider, L'Oréal, PSA, Airbus, Sagem… - y créent des centres de R&D. C'est aussi le tournant de l'internationalisation du pays : suivant l'injonction de l'Etat (« go abroad »), la Chine encourage ses étudiants et ses cadres à se former à l'étranger. Ses grands groupes commencent aussi à mettre la main sur des technologies qui leur manquent, par des rachats. En 2007, le chimiste BlueStar fait ainsi un bond dans sa connaissance des matériaux en rachetant la branche silicones du français Rhodia.
A côté de ces pratiques légales, la Chine n'a pas hésité à capter illégalement certaines innovations - endossant le rôle du Japon, accusé pendant les années 1980 de piller les technologies occidentales. L'une de ces douteuses manœuvres a participé à la chute du groupe Alcatel. Au mitan des années 2000, l'industriel s'était recentré sur ses activités télécoms. Certain d'avoir une avance dans les équipements de connexion, l'équipementier découvre en 2005 que les appareils Huawei vendus à British Telecom ressemblent furieusement à leur dernier modèle. Il le fait analyser. Surprise, le code source est le même. Son patron, Serge Tchuruk, ne parvient pas à mobiliser les autorités françaises pour faire pression sur la Chine, et Alcatel coule.
Le phénomène a aussi touché l'aéronautique. Dans les années 1980, la Chine sort le Shanghai Y-10, une copie du Boeing 707, et l'ARJ21, inspiré du MD-80 de McDonnell Douglas. Côté hélicoptères, le Changhe Z-11, sorti en 1994, est une copie de l'Ecu-reuil, best-seller d'Airbus Helicopters. La technique des Chinois : lancer un appel d'offres factice, témoigner un vif intérêt pour la technologie proposée par les fournisseurs occidentaux, leur demander une foule de précisions techniques, puis se retirer du jeu.
« Les Chinois excellent toujours dans la copie, mais avec une intime connaissance des règles de propriété intellectuelle, qui leur permet de ne pas se faire attraper », nuance Didier Patry, directeur général de France Brevets. En 2017, le secteur automobile en a fourni un exemple : une superbe copie de l'Evoque de Range Rover sort sous la marque Landwind X7. En toute légalité. Range Rover avait tout bonnement omis de protéger son modèle sur le marché chinois.
Arrogance occidentale
Dans le nucléaire aussi, la Chine s'est mise à niveau en jouant avec les lignes. La société d'Etat SNPTC a d'abord signé la licence d'exploitation d'un réacteur américain de troisième génération, l'AP1000. Une fois la technologie assimilée, elle a développé son propre modèle. « Le groupe Westinghouse avait protégé sa licence jusqu'à 1 400 mégawatts, pensant que son partenaire chinois ne parviendrait pas à aller au-delà », raconte François Morin, directeur Chine de la World Nuclear Association (WNA). Erreur. Le réacteur chinois, en construction, produira 1 450 mégawatts, sans verser de royalties aux Américains. L'arrogance occidentale, encore…
La Chine reste toutefois distancée dans des domaines comme les semi-conducteurs, la défense, les bio-techs, les satellites… « Après des décennies d'efforts et des milliards de dollars, les avions chinois sont des échecs spectaculaires », tacle aussi l'analyste Richard Aboulafia. Et même dans les domaines où elle affiche sa maîtrise, des failles persistent. Récemment, la fuite de Taishan interroge sur sa gestion d'une centrale nucléaire. « La Chine reste consciente de son retard, réel, notamment en matière de recherche fondamentale », souligne Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. En 2016, Xi Jinping a dessiné le nouvel horizon : faire de son pays la première puissance innovante d'ici à 2050. Et la France pourrait bien l'aider à y parvenir : en 2018, elle lançait en grande pompe les Maisons franco-chinoises de l'innovation.
Chine: Razzia en règle sur les technologies - Challenges
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