Fin de pandémie, révolution technologique, surendettement public, défiance envers le monde politique.... La décennie qui s'ouvre ressemble étrangement à celle des années 1920. Et si l'Histoire balbutiait ? L'Express dresse le parallèle entre les deux périodes dans une série en cinq épisodes à découvrir tout l'été.
Retrouvez ici l'épisode 1 : De la grippe espagnole au Covid, l'éternel recommencement
Le 19 janvier 1919, l'aviateur Jules Védrines, héros de la Grande Guerre, instructeur de Georges Guynemer, casse-cou notoire, se pose sur le toit des Galeries Lafayette du boulevard Haussmann, à Paris, aux commandes d'un Caudron G III, avion de reconnaissance et d'entraînement. L'exploit n'est pas mince : la terrasse ne mesure que 28 mètres sur 12. Védrines empoche la prime de 25 000 francs, est fêté par la presse, mais écope néanmoins d'une amende de 16 francs. L'anecdote en dit long sur l'état d'esprit de l'époque, où l'on est d'avide d'exploits, de nouvelles technologies et de publicité. En juillet 2021, deux entrepreneurs milliardaires, Richard Branson et Jeff Bezos se sont fait propulser dans leur propre engin spatial, affichant ainsi leur volonté de faire de l'espace une nouvelle frontière technologique. Certes, il n'y a pas grand-chose de commun entre l'aviateur-cascadeur de 1919 et les nouveaux touristes de l'espace de 2021. Mais ils expriment une même foi dans la science et dans les possibilités qu'elle ouvre aux hommes de se dépasser et de défricher des territoires nouveaux.
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Electricité, automobile, téléphone... Internet, intelligence artificielle, robotique
Les Années folles consacrent en effet le triomphe des technologies. La plupart ont été inventées avant la guerre. L'ampoule électrique à filament de carbone a été mise au point en 1881-1882 par Lewis Latimer, qui ne tardera pas à rejoindre l'équipe d'Edison, où il sera le seul Afro-Américain. Le téléphone est mis au point en 1876 par Graham Bell, une paternité qui a été depuis discutée. L'industrie automobile s'est construite à partir des années 1880 (Peugeot est fondé en 1896, Renault en 1898). L'après-guerre va se saisir de ces inventions et les transformer en produits de consommation de masse. Et ce sont les Etats-Unis qui donnent le la. "L'Amérique ne parle pas, elle chante, elle ronfle, elle compte, elle tourne indéfiniment sur elle-même comme une dynamo insérée entre les deux pôles et les deux bouts du continent" écrit Paul Claudel, qui fut ambassadeur de France aux Etats-Unis de 1927 à 1933.
Après la Grande Guerre s'ouvre en effet une période de forte croissance économique, une sorte de nouvel âge d'or qui pouvait rappeler les années glorieuses de l'avant-guerre. Cette croissance est nourrie par la technologie : éclairage public, cinéma, téléphone, aviation commerciale, radio, automobile, réfrigérateur, aspirateur, dont une nouvelle classe moyenne fait son miel. L'homme d'affaires devient le nouveau héros. Les grandes entreprises se mettent à l'heure de la taylorisation, du scientific management et de la production de masse. Elles gagnent en puissance politique, en particulier aux Etats-Unis où, sous l'impulsion du gouvernement, le big business est florissant. Un autre phénomène change profondément le visage des économies développées : l'urbanisation. Dès 1920, aux Etats-Unis la population urbaine est supérieure à la population rurale (le basculement s'opérera en 1931 en France).
L'ère du pétrole hier, celle des énergies renouvelables aujourd'hui
Surtout, cette nouvelle révolution industrielle est alimentée par une source d'énergie abondante et peu chère : le pétrole. Entre 1900 et 1920, la production de brut passe de 20 à 100 millions de tonnes, dont 60 % extraites aux Etats-Unis. Les Années folles seront donc aussi celles de "l'or noir", élixir miraculeux qui autorise tous les rêves d'expansion. Certains économistes entrevoyaient déjà la fin des "cycles", d'autres anticipaient de futurs "bonds en avant". En 1929, les Etats-Unis assuraient 42 % de la production mondiale, contre 28 % pour les trois grandes puissances industrielles européennes qu'étaient alors la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. L'Amérique était le premier créancier mondial et totalisait plus de 40 % des importations totales des 15 nations les plus commerciales. En 1928, le président Coolidge déclarait dans son discours sur l'état de l'Union : "Aucun Congrès des Etats-Unis jamais réuni, en examinant l'état de l'Union, n'a eu de perspective plus agréable que celle qui apparaît aujourd'hui. A l'intérieur règnent la tranquillité et la satisfaction... et le record des années de prospérité. A l'extérieur règnent la paix, la bonne volonté tirée d'une compréhension mutuelle."
La prochaine décennie ressemblera-t-elle aux Roaring Twenties ? Sur le plan technologique, le parallèle est tentant. Nous sommes engagés dans une nouvelle révolution (Internet, les réseaux, l'intelligence artificielle, les objets connectés) qui embrasse à la fois les modes de production, l'organisation du travail, les façons de vivre et de consommer, comme dans les années 1920. Nous traversons aussi une ère d'hyperconsommation, dopée par l'e-commerce (il s'est vendu 1,29 milliard de smartphones dans le monde en 2020). Comme dans les années 1920, l'économie mondiale est dominée par quelques groupes hyperpuissants qui ont construit des quasi-monopoles, notamment dans la tech.
La question climatique
Mais il nous manque un ingrédient fondamental par rapport à nos compatriotes des années 1920 : l'insouciance. Les années 1920 ont été celles de la mise en exploitation industrielle des ressources agricoles et du sous-sol grâce aux empires coloniaux, notamment en France et en Grande-Bretagne. Cela a marqué le début de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre et donc, d'une certaine façon, le point de départ du changement climatique dont nous payons le prix aujourd'hui. A l'époque, tout ce qui était à prendre, forêts, mines, concessions pétrolières, plantations, était pris. Nos prochaines Années folles seront folles d'une autre manière, sous l'urgence de mettre en place les technologies aptes à décarboner l'ensemble des processus de production au niveau mondial.
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L'exploitation des énergies fossiles achève son long cycle d'expansion après avoir joué un rôle central dans le développement économique de la planète. Or, comme dans les années 1920, la question de l'énergie sous-tend toutes les autres. L'électricité est appelée à prendre la place du pétrole, certes. Mais il faudra bien la produire avec une source primaire et, comme le soulignait Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie, lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence il y a quelques semaines, les plus grandes incertitudes règnent encore sur le mix énergétique des dix ou vingt prochaines années. C'est une grande première pour l'économie mondiale et la promesse de probables "folies" à venir...
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