Que l’on soit consommateur lambda, passionné ou journaliste, on voudrait tellement que ce soit vrai : que la qualité sonore progresse grâce au format audio Hi-Res (pour « haute résolution »), que l’image s’affine avec la résolution 8K, que la connexion mobile accélère grâce à la 5G. Les publicités le répètent, ces technologies nous font faire un bon en avant. Le passé nous renforce dans cette croyance : l’Internet est indubitablement plus rapide sur un smartphone 4G que 3G. Alors pourquoi douter du progrès apporté par ces innovations récentes ?
D’abord parce qu’on ne peut pas faire entièrement confiance à son ressenti. Quand les consommateurs achètent un produit compatible et le déballent, ils perçoivent la différence instantanément… parfois même quand elle n’existe pas. Des chercheurs bordelais ont en effet mis en évidence un biais cognitif qui nous pousse à préférer les produits présentés comme meilleurs. En 2019, des étudiants en œnologie ont ainsi donné une note de 8 sur 20 à une bouteille étiquetée « vin de table » et lui ont attribué 13 sur 20 quand on l’a recouverte d’une étiquette « grand cru ».
Un seuil d’inutilité ?
Surtout, certaines technologies semblent avoir franchi un seuil d’inutilité au-delà duquel les améliorations n’apportent plus grand-chose au consommateur. L’œil et l’oreille humaine ont des limites physiologiques que ces technologies sont en train de dépasser – les améliorations apportées deviennent impossibles à percevoir.
C’est le cas, par exemple, des vidéos 8K. Elles affinent incontestablement les images en affichant quatre fois plus de pixels que les vidéos 4K, seize fois plus que les vidéos HD. Mais, selon divers experts que nous avons interrogés, la différence entre 4K et 8K est imperceptible, même avec un immense téléviseur 88 pouces, à moins d’être assis à une distance déraisonnablement proche de l’écran. « La 8K n’a pas de sens », juge ainsi Kommer Kleijn, directeur de la photographie dans l’industrie du cinéma, enseignant et expert en perception visuelle.
On peut aussi citer l’exemple de la musique Hi-Res, qui contient indubitablement plus d’informations musicales dans les nuances de volume et les suraigus. Mais, ici encore, la différence avec la musique en qualité CD est imperceptible, sauf pour des oreilles d’exception, bien nées et bien entraînées. Et encore : pour elles, la différence n’apparaît que sur certains titres et au prix d’une forte concentration. En 2015, nous avions convié un ingénieur du son, un jazzman et un compositeur et pianiste classique pour un test en aveugle : aucun n’est parvenu à distinguer les morceaux diffusés en Hi-Res de leur équivalent en qualité CD.
La 5G, elle, est un cas un peu à part. Si l’utilité à terme d’un tel débit est déjà discutable, cette nouvelle technologie est dans tous les cas décevante pour le moment. Selon nos mesures à l’inauguration du réseau francilien, la quasi-totalité des applications de smartphone fonctionnaient aussi rapidement en 4G qu’en 5G. Pour l’heure, nous ne la recommandons donc pas, car elle est plus chère et a tendance à être moins fiable : la connexion coupe plus souvent en pleine ville. Une critique que l’on entend également du côté des utilisateurs étrangers de la 5G, et ce même en Corée du Sud, pays où le réseau est pourtant le plus avancé. Il faudra sans doute attendre 2023 pour se faire un avis définitif : à cette date, la 5G devrait avoir cessé de s’appuyer sur l’infrastructure du réseau 4G pour fonctionner avec la sienne propre, ce qui devrait améliorer le temps de réaction. Même si aucune application grand public ne paraît aujourd’hui en avoir un besoin criant.
Si ces technologies ont atteint leur apogée, cela ne signifie nullement que les téléviseurs et les smartphones ont cessé de progresser. Le pic lumineux des téléviseurs progresse par exemple régulièrement et, dans certains cas, les images paraîtront plus naturelles. Mais ces progrès-là sont lents et difficiles à expliquer au grand public, donc moins vendeurs qu’un saut limpide de la 4K à la 8K.
Des investissements à rentabiliser
Pourquoi les fabricants s’obstinent-ils à vanter des sauts technologiques qui n’apportent aucun bénéfice aux consommateurs ? Un argument revient souvent dans la bouche de leurs porte-parole : ces technologies préparent l’avenir. Si leur utilité est discutable aujourd’hui, elles permettront demain de faire émerger de nouveaux usages. Elles libèrent l’imagination et l’horizon des inventeurs.
Par exemple, si la 5G s’améliore, elle pourra rendre possible de nouveaux usages pour les lunettes de réalité augmentée. Quant aux images 8K, « on pourrait s’en servir pour des murs d’images interactifs : il faudrait s’en approcher beaucoup pour les manipuler et, dans ce cas, la finesse des images 8K aurait un sens », estime Christopher Nelson, formateur vidéo à l’Institut national de l’audiovisuel.
Ces innovations paraissent toutefois résolument hypothétiques. Or, pour un bénéfice à un horizon très lointain, les équipements qu’elles requièrent, abonnement 5G ou écran 8K, coûtent très cher au consommateur actuel. Dans le cas de la musique Hi-Res, le constat est même plus accablant encore : on peine à lui trouver une quelconque application futuriste.
Dès lors, les consommateurs sont-ils victimes d’un mirage fabriqué de toutes pièces par les équipes marketing des fabricants ? L’accusation fait bondir François Laurent, coprésident de l’Association nationale des professionnels du marketing (Adetem) et ancien cadre du fabricant français Thomson :
« La chaîne de causalité est plutôt la suivante : le service R&D [recherche et développement] réalise des investissements très lourds pour maintenir son avance technologique. La direction financière décide de les rentabiliser en les commercialisant et demande donc au service marketing de promouvoir la nouvelle technologie sortie du labo. Le service marketing n’est qu’un exécutant. »
Par ailleurs, les géants de l’électronique craignent par-dessus tout la baisse du désir des consommateurs : cela entraînerait leurs ventes vers le bas, ferait chuter leurs prix et leurs marges. Même si, comme le souligne Ranjit Atwal, analyste du cabinet Gartner, « vient souvent un moment où l’innovation ralentit et le marché avec. C’est le moment où le produit arrive à maturité. C’est ce qui est arrivé aux télévisions, dont les volumes de vente ont chuté récemment ».
En tant que conseil, notre préconisation est simple : faire l’impasse sur ces technologies. Prolonger la durée de vie de votre téléviseur ou de votre smartphone vous permettra d’économiser de précieux euros, que vous pourrez éventuellement investir ailleurs.
5G, 8K, musique Hi-Res… Ces technologies de nouvelle génération ont-elles encore un intérêt ? - Le Monde
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