Publié le 15 déc. 2021 à 14:41Mis à jour le 15 déc. 2021 à 14:45
Combinée aux tensions géopolitiques, la diminution de la liberté d'opérer dans le domaine technologique a conduit à des appels en faveur d'un renforcement de la position européenne dans les domaines clés et à un débat sur la souveraineté technologique européenne et l'autonomie stratégique.
Si la nécessité de renforcer la souveraineté technologique européenne est largement reconnue, le débat a soulevé des inquiétudes quant au risque que de tels efforts conduisent à un renforcement du protectionnisme et de l'isolationnisme.
Les appels à une souveraineté technologique européenne forte ne sont pas un phénomène nouveau. La dépendance à l'égard des chaînes d'approvisionnement mondiales, des fournisseurs de matériel et de logiciels non européens est devenue de plus en plus évidente lors de la pandémie de Covid-19, et de son impact négatif sur le commerce et les transports internationaux. Dans son dernier discours sur l'état de l'Union, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a insisté une fois de plus sur l'importance d'investir dans la souveraineté technologique européenne. Soulignant spécifiquement la dépendance de l'économie européenne vis-à-vis des semi-conducteurs, Mme von der Leyen a présenté une proposition de nouvelle loi européenne sur les puces.
Pourtant, malgré ces initiatives bien intentionnées, il n'est pas certain que l'Europe ait des réponses concluantes à certaines questions cruciales : quelles sont les technologies essentielles pour le bien-être, la compétitivité et la capacité d'action de l'Europe ? L'Europe est-elle capable de les développer ? Doit-elle en être la propriétaire ou en garantir l'accès sans une dépendance structurelle unilatérale ?
Il n'est pas aisé de répondre à ces questions, car les technologies sont rarement autonomes ou indépendantes. Les technologies complexes sont souvent composées de nombreux éléments et sont déployées dans des systèmes, logiciels et matériels, eux-mêmes complexes, dans lesquels elles interagissent avec d'autres technologies.
L'approche européenne actuelle en matière de souveraineté digitale est aussi une combinaison de réglementation et d'innovation. Par le biais de la réglementation, l'Europe cherche à créer un domaine numérique où les droits des différentes parties prenantes sont équilibrés et respectés. Les plus connues sont le RGPD, en matière de protection des données et de la vie privée, et, plus récemment, les lois sur les services et les marchés numériques.
Cependant, des technologies comme l'IA, la cybersécurité, le Big data et le cloud, les technologies mobiles et les semi-conducteurs, mais aussi l'informatique quantique et la photonique, présentent des caractéristiques, des complexités et des dynamiques différentes, ainsi que des positions et des interdépendances européennes variables. Pour compliquer les choses, l'autonomie digitale stratégique ne concerne pas seulement les technologies elles-mêmes, mais également la capacité à les appliquer dans d'autres secteurs, comme la mobilité, la logistique, l'industrie, la finance, la santé, etc.
Compte tenu de la réalité des systèmes d'innovation et des économies internationales hyperconnectées, et de la complexité de l'autonomie digitale, il devient immédiatement clair que l'Europe ne pourra pas aboutir à son autonomie numérique toute seule. Le défi de l'Europe est de parvenir à une souveraineté technologique qui renforce sa compétitivité et sa position dans l'économie mondiale, sans transformer le continent en une île isolée, apparemment protégée et déconnectée du reste du monde.
L'Europe doit travailler à une analyse beaucoup plus approfondie de sa dépendance à l'égard des technologies et déterminer lesquelles d'entre elles nous devrions posséder, partager avec d'autres, ou, simplement, avoir besoin d'y accéder. L’Europe devra développer des positions stratégiques pour les secteurs technologiques respectifs.
La voie vers la souveraineté numérique de l'Europe
L'essence d'une approche réussie de la souveraineté numérique consiste à travailler des deux côtés de la médaille, selon le même principe : la liberté de choix. Pour le côté réglementaire, cela signifie la création d’un marché numérique équitable en équilibrant les intérêts des parties prenantes tout en évitant les acteurs numériques dominants. Du côté de l'innovation, cela signifie créer la liberté de choix en soutenant et en développant les acteurs de l'industrie digitale dans les technologies de base.
Des initiatives conjointes comme Airbus, le système de navigation par satellite Galileo ou l'Agence spatiale européenne, mais aussi l'Alliance européenne des batteries et l'Alliance pour les matières premières ont démontré que l'Europe est capable d'atteindre des positions stratégiques en s’appuyant sur des technologies critiques. Dans le domaine du digital, le partenariat de l'UE sur les technologies numériques clés est un autre effort qui mérite d'être mentionné.
Cependant, tout cela n'est pas suffisant pour obtenir la souveraineté ou l'autonomie numérique. L'Europe doit intensifier les investissements dans l'innovation et l'esprit d'entreprise, et accélérer les efforts en faveur du marché unique numérique. Des investissements privés et publics combinés significatifs sont nécessaires pour créer des acteurs mondiaux de l'industrie digitale. Les institutions de l'UE et les États membres doivent s'aligner beaucoup plus fortement sur les acteurs privés pour soutenir les investissements publics-privés en vue du développement d'industries numériques concrètes. Seul cet effort concerté permettra à l'Europe d'atteindre son objectif commun, à savoir une véritable autonomie numérique.
Willem Jonker est PDG d'EIT Digital.
Opinion | Quelle autonomie technologique européenne ? - Les Échos
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