La Commission européenne milite en faveur du développement des technologies propres sur des marchés de masse pour accélérer la transition énergétique. Mais en intégrant le nucléaire et le gaz fossile dans sa taxinomie verte, elle vient de brouiller le jeu.
La Commission européenne vient de laisser la porte ouverte au nucléaire et au gaz fossile en tant qu’énergies ayant un rôle à jouer dans la transition énergétique. C’est à travers un « acte délégué complémentaire relatif aux objectifs climatiques de la taxinomie » que cette nouvelle position a été officialisée, ce 2 février 2022, après d’intenses mois de lobbying des États membres. La taxinomie « verte » est en effet un document de référence pour aider les investisseurs privés à identifier les technologies les plus favorables à l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050.
Dans le domaine de la production d’énergie, la taxinomie ne concernait jusque-là que les sources renouvelables et les systèmes allant avec (réseaux urbains, cogénération, stockage, pompes à chaleur). Par ce nouvel acte délégué, la Commission donne une place à deux géants historiques qui vivent mal leur déclassement dans la hiérarchie des technologies d’avenir.
Pour se justifier, la Commission pousse les avantages relatifs qu’apportent ces deux solutions. Le nucléaire permettrait de décarboner la production d’électricité de pays cherchant de forts volumes de production sans développer trop d’énergies renouvelables. Le gaz fossile se présenterait comme une alternative rapide à mettre en place en remplacement du charbon. En échange, et afin de se prémunir de trop fortes critiques, l’acte délégué de la taxinomie définit des conditions :
- Le gaz fossile devrait baisser ses émissions de CO2 et être remplacé par des sources renouvelables ou bas-carbone d’ici 2035 ; se substituer à des centrales à charbon quand il n’est pas possible de développer des énergies renouvelables ; être utilisé dans les centrales à cogénération à haute efficacité ou pour des réseaux de chaleur urbains.
- La filière nucléaire doit appliquer les plus hauts standards de sûreté et de gestion des déchets ; elle est limitée dans le temps pour étendre la durée de vie des centrales existantes (2040) ou construire de nouvelles unités de type EPR (2045) et elle doit développer les technologies de 4e génération (réacteurs à neutrons rapides, à très haute température, à eau supercritique ou à sels fondus).
Des technologies propres bien identifiées
L’approche de la Commission est critiquée par de nombreux acteurs, notamment les ONG environnementales : comment peut-on guider les financements vers l’usage d’un gaz responsable de l’effet de serre et vers une technologie créant des déchets radioactifs pour des milliers d’années ? Ce choix – au-delà du fait qu’il arrange certains pays comme la France pour le nucléaire et l’Allemagne pour le gaz – ne paraît pas en phase avec la vision d’une société disposant de technologies propres pour satisfaire ses besoins, eux-mêmes dimensionnés de manière plus sobre, et plus économe en énergie et en matériaux.
La démarche de la Commission européenne est d’autant plus paradoxale qu’en octobre 2021, lors de sa présentation de l’état de l’union de l’énergie, elle a mis en avant une analyse de la compétitivité des technologies propres. Elle y fait le constat que l’Europe est encore à l’avant-garde mondiale dans plusieurs domaines de recherche sur les énergies propres, tout en retrouvant une dynamique positive de dépôts de brevet. L’UE bénéficie aussi d’une position forte dans l’industrie éolienne et se place sérieusement sur les marchés émergents pour lesquels des sites industriels de fabrication pourraient être installés sur le territoire européen : photovoltaïque, batteries électriques, pompes à chaleur, carburants d’origine renouvelable, réseaux électriques intelligents, hydrogène vert. Aucune trace du nucléaire et du gaz fossile dans cette liste.
Et ce n’est pas le moment de ralentir. La Commission fait en effet remarquer dans son rapport que les technologies innovantes propices à la transition énergétique sont parfois fragilisées par un environnement concurrentiel mondial fort, et ont souvent du mal à passer à un marché de masse. Pour passer ce cap et augmenter de taille, trois conditions sont requises, a minima. Tout d’abord, les start-up ne doivent pas être freinées par des réglementations inadéquates, qui empêcheraient par exemple le solaire photovoltaïque de porter l’autoconsommation ou la naissance de communautés énergétiques. Ensuite, elles doivent avoir accès à une demande domestique suffisante pour se développer : c’est par exemple le cas pour les pompes à chaleur dans le bâtiment. Enfin, les technologies propres ont besoin de financements privés pour porter leur développement.
La taxinomie se présentait comme une bonne nouvelle en identifiant clairement les technologies – chacune avec ses avantages et ses limites – aux yeux des investisseurs. Mais en intégrant maintenant le nucléaire et le gaz fossile dans la taxinomie, on peut craindre que le poids de ces deux géants freine le recours rapide aux technologies propres en captant une part des financements et des marchés. Le gâteau de la transition existe, mais à vouloir le découper en trop de parts, il n’est pas certain que tout le monde survive.
Les technologies propres trouveront-elles leur place ? - Actualités Techniques de l'Ingénieur
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