Le réchauffement climatique est enfin sur toutes les lèvres dans le débat public et dans les médias. Pour le combattre, une voix en particulier se fait entendre, sur les plateaux de télévision ou chez nos politiques : celle qui indique que les innovations technologiques arriveront à nous sauver avec le temps. Un technosolutionnisme qui cache en fait une réalité plus complexe.
Des voix dissonantes tentent de se faire entendre, prônant, elles, le recours à des méthodes déjà en place sans chercher à tout prix à innover et à créer l’invention ultramoderne qui sauvera le monde. Alors, le recours aux nouvelles technologies nous sauvera-t-il ? Est-on « condamnés » à utiliser ce qu’on appelle les low tech ? Et si, finalement, la réponse se trouvait à la rencontre de ces deux visions ?
Des solutions high tech controversées
L’année dernière se tenait la Coupe du monde de football au Qatar. Un événement hautement controversé du fait de son attribution et des conditions des travailleurs ayant œuvré sur les nombreux chantiers de préparation, mais aussi par ses non-sens écologiques maintes fois pointés du doigt. Le pays avait mis en œuvre, selon ses dires, de nombreuses solutions dernier cri pour faire face aux chaleurs de la région, constamment élevées, même à l’approche de l’hiver.
Le point ayant le plus retenu l’attention était bien évidemment cette histoire de climatisation dans des stades à ciel ouvert. « À partir du moment où c’est climatisé à ciel ouvert, il y a une perte d’énergie considérable. C’est une évidence et une aberration. La climatisation ne se fait pas toute seule, cela nécessite de l’électricité. Il y a donc des conséquences sur l’effet de serre évidemment », déclarait au journal Sud Ouest Éric Aufaure, spécialiste du bâtiment au sein de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
Un discours partagé par bien d’autres et qui s’ajoute à celui dénonçant le discours du Qatar, qui annonçait avoir atteint la neutralité carbone pendant l’événement. Une affirmation faite sans prendre en compte les émissions pendant l’événement lui-même, provoquées donc par ces climatiseurs à ciel ouvert ou par les nombreux vols courts internes mis en place par le gouvernement pour les visiteurs afin qu’ils se rendent rapidement d’un stade à un autre.
De son côté, Emmanuel Macron, en 2021, mettait en avant des solutions innovantes pour réduire nos émissions, avec l’annonce du développement d’avions bas-carbone, du secteur des véhicules électriques ou encore de l’utilisation de l’hydrogène vert. Ce discours sur les solutions dites innovantes pour combattre le réchauffement climatique a pris une place prépondérante, que ce soit sur les plateaux télé du monde entier, dans les paroles de nos politiques ou encore dans la communication des grandes entreprises. Une telle vision, si elle est à la limite du greenwashing pour certains acteurs, porte un nom : le technosolutionnisme et elle est loin de faire l’unanimité au sein des communautés scientifiques.
Un débat qui prend toute la place en France
« Quand nous sommes confrontés à une crise, il y a plutôt cette notion de technosolutionnisme : la tech va nous sauver et la crise en cours ne remet absolument pas en cause nos manières de vivre », nous indique Carlos Moreno, urbaniste franco-colombien, auteur et professeur à l’Université de la Sorbonne notamment connu pour ses travaux préliminaires sur la smart city, puis sur le concept de la « ville du quart d’heure ».
« La tech doit être au service des usages. C’est là qu’elle a de la valeur, pas autrement. »
Carlos MorenoUrbaniste, auteur, professeur à La Sorbonne
Bon nombre de scientifiques et d’experts appellent plutôt à faire l’exact inverse : utiliser les technologies douces et durables, ou la low tech, pour atténuer les effets du réchauffement climatique. Ils expliquent que le fait de ne croire qu’en l’innovation pour sauver le monde est simplement un cache-misère et une vision trop simpliste des choses. Car, là où un discours nous prédit l’arrivée de gigantesques parcs éoliens dans dix ans, le climat, lui, sera allé beaucoup plus vite que la technologie. Le pays disposerait certes, à terme, de plus d’énergies renouvelables, mais les émissions, elles, auront continué d’augmenter pendant ce temps.
Dans un même ordre d’idée, développer et produire ces solutions high tech demande à la fois du temps et une quantité de ressources considérables, sur une planète qui ne dispose de celles-ci qu’en quantités limitée.
Un débat fait rage donc, entre les partisans du technosolutionnisme, prônant l’utilisation des dernières technologies pour réduire notre empreinte sur le monde, et ceux de la low tech, rejetant cette première idée pour agir immédiatement. Un débat qui ne semble pas non plus faire avancer les choses, comme nous l’explique Carlos Moreno : « C’est un débat biaisé qui ne rend service à personne. Il faut revenir aux sources de la technologie dans l’histoire de l’humanité, la tech a toujours été un allié mais pas un but en soi. La question qu’il faut se poser maintenant ce n’est pas “Est-ce que c’est mieux high tech ou low tech”, c’est de savoir si les moyens utilisés sont utiles. »
Pour le professeur, il y a du positif à prendre des deux côtés, comme il y a du négatif à rejeter. « À nous d’adapter cela et de bien choisir », finit-il.
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Trouver le point d’équilibre
Selon l’ONU, d’ici 2050, plus de 70 % de la population mondiale vivra dans les villes. Une situation qui, couplée au réchauffement climatique qui n’épargne personne, demande une adaptation phénoménale afin de garantir des conditions de vie décentes dans ces lieux denses. C’est pour répondre à ces besoins que le concept de smart city est apparu. Des villes qui doivent être à la fois capables de gérer de manière intelligente les réseaux de transports, les services de distribution de l’eau ou encore l’efficacité énergétique de ses bâtiments. Pour Carlos Moreno, qui a travaillé de longues années sur le concept, construire la ville intelligente idéale demande de faire appel aux deux solutions.
« Ce qu’on appelle les nouvelles technologies ont beaucoup d’applications dans la smart city, car elles aident à résoudre des questions grâce à nos connaissances acquises et à développer des solutions sur la préservation de l’eau ou pour combattre la chaleur. Par exemple, les nouvelles technologies nous permettent de développer de nouveaux matériaux plus durables, plus efficaces. Ce sont elles qui ont permis de remplacer nombre d’éclairages publics par des ampoules LED, par exemple, bien moins gourmandes en énergie. Pour une utilisation optimale, il faut savoir ce qui est réellement utile. »
« Un bon exemple de smart city est une ville qui allie toutes les technologies (qu’elles soient dites low ou high) dans un seul et unique but : aider les habitants à satisfaire leurs besoins sociaux. »
Carlos MorenoUrbaniste, auteur, professeur à La Sorbonne
L’homme de continuer sa démonstration : « Un bon exemple de smart city est une ville qui allie toutes les technologies (qu’elles soient dites low ou high) dans un seul et unique but : aider les habitants à satisfaire leurs besoins sociaux, ce qui comprend la lutte contre le réchauffement climatique. La tech doit être au service des usages. C’est là qu’elle a de la valeur, pas autrement. Les pays dans le monde qui l’ont bien compris sont surtout les pays du nord de l’Europe. »
En d’autres termes, inonder un territoire de produits technologiques dernier cri et de gadgets n’a pas de sens dans le développement de la smart city. C’est en se basant sur une véritable étude d’utilité et d’usage que des villes comme Helsinki en Finlande, Oslo en Norvège ou Copenhague au Danemark apparaissent régulièrement dans les classements des meilleures smart city du monde et des villes les plus durables. Il est donc temps, en France, de rediriger le débat et de faire appel à toutes les parties prenantes afin de développer au plus vite des moyens durables et rapides de combattre le changement climatique.
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