Ce qui devait arriver arriva. La pépite née en France et désormais installée en Belgique, Akka technologies, qui a fondé une partie de sa stratégie sur une politique agressive de croissance externe - (rachat de Mbtech, la filiale ingénierie de Daimler, en 2010 ; PDS Tech en 2018) va être rachetée par plus gros qu'elle. Créée en 1984 par un ancien ingénieur de Renault, Mauro Ricci, Akka Technologies va être cédée au groupe suisse Adecco, numéro un mondial de l'intérim.
Ce dernier va fusionner Akka Technologies avec sa filiale Modis pour donner naissance au "deuxième acteur mondial de l'industrie intelligente", selon les termes du communiqué annonçant l'opération. Le titre de l'entreprise française, qui devrait être cédée pour deux milliards d'euros, s'est envolé de 91% en Bourse ce mercredi, à 47.10 euros. Un deal important - la plus grosse acquisition du groupe Adecco - qui n'est pas sans poser des questions sociales, alors que l'entreprise technologique, structurée en cinq branches, avec de fortes implantations à Lyon et Toulouse, est en train de finaliser un plan de sauvegarde pour l'emploi (PSE) qui a laissé des traces.
La plus grosse acquisition de l'histoire d'Adecco
Cette opération intervient dans un marché du conseil en ingénierie du numérique en pleine croissance... et en restructuration. Il y a deux ans, Capgemini fusionnait avec Altran pour devenir leader mondial du secteur. Avec 50.000 consultants et un chiffre d'affaires cumulé à 3,7 milliards d'euros (sur la base de l'exercice 2020), le tandem Akka-Modis se pose en challenger, à la deuxième place devant des grands noms comme HCL, Alten ou Accenture. Et la nouvelle entité compte bien s'appuyer sur les compétences d'Akka, qui a pris l'habitude de prendre en main l'intégralité des projets de R&D au sein de ses donneurs d'ordre.
Mauro Ricci, le patron et fondateur d'Akka Technologies, a justifié cette opération par la complémentarité des activités des deux entreprises, tant au niveau des compétences que sur le plan géographique. Cotée en Bourse, l'entreprise qu'il dirige est plutôt centrée sur l'Europe alors que Modis est davantage implantée en Amérique du Nord et en Asie. Le duo sera désormais présent dans 30 pays et sur quatre continents.
Les sources de revenus de cette nouvelle entité seront réparties sur six segments principaux : l'automobile (22%), l'aéronautique (14%), le software et web services (14%), les services financiers (12%), l'industrial manufacturing (9%) et l'environnement-énergie (6%). Ces activités sont complétées par une myriade d'expertises annexes (pour 23% des revenus), notamment portées par l'industrie ferroviaire.
D'ici à 2023, la nouvelle entité espère voir son chiffre d'affaires progresser en misant notamment sur la forte progression du secteur des services financiers (+20%) et de la branche Software et web service (+16%). A court terme, Adecco attend de ce rapprochement plus de 200 millions d'euros de chiffres d'affaires. "Stratégiquement, c'est important pour nous de bâtir un leader mondial", a déclaré Alain Dehaze, le directeur général d'Adecco, en évoquant également un fort potentiel de croissance avec, en particulier, l'essor de la demande pour les technologies destinées aux "usines intelligentes" ou "voitures intelligentes".
Des effectifs en baisse
L'annonce a surpris les syndicats, qui sortaient de plusieurs mois de négociations éprouvantes avec la direction. Employant environ 7.300 personnes en France, la direction d'Akka avait en effet annoncé un plan social au premier trimestre 2020 qui visait à supprimer à l'origine environ 1.000 postes. Ceci alors que les salariés espéraient la mise en place du régime d'activité partielle de longue durée (APLD). Finalement, ce sont environ 300 emplois qui devraient être supprimés, particulièrement à proximité de Toulouse, à Blagnac, (une centaine), où se trouve notamment la branche Akka Aérospace, sous-traitant d'Airbus. Les différents plans sociaux - un par filiale - sont dans leur phase finale d'homologation par les services de l'Etat. Contactée, la direction n'a pas souhaité confirmer ces évolutions d'effectifs, ni le nombre de licenciements définitifs. Les notifications de licenciement devraient être envoyées fin août début septembre.
Mais pour les représentants syndicaux, l'hémorragie sociale est bien plus importante que ce plan de licenciement économique. Selon les chiffres de la section CFDT, l'entreprise comptait en France, en janvier 2020, 7.735 salariés contre 6.512, avant le plan social. Cette perte de 1.223 emplois nets seraient notamment dû - toujours selon la CFDT - a des départs volontaires (environ 300), un triplement des ruptures conventionnelles et une hausse des fins de période d'essai.
D'autres inquiétudes portent sur l'impact de cette fusion, notamment sur les fonctions support, alors que le communiqué annonce des "synergies de coût d'environ 65 millions d'euros". La direction, qui n'a pas souhaité confirmer ou infirmer les chiffres liés aux effectifs, explique de son côté que la situation liée au Covid-19 imposait la mise en place d'un PSE et le non-remplacement de certains postes. Elle assure avoir fait au plus juste. "A Blagnac où se concentrent 2.500 salariés, notre activité aéronautique a été divisée par deux. C'est potentiellement 1.250 emplois qui auraient pu être menacés", explique une responsable du groupe.
L'exercice 2020 a en effet été particulièrement difficile pour Akka Technologies. L'an dernier, l'entreprise avait enregistré une perte nette de 120 millions d'euros. Opérant principalement dans les secteurs de la défense, de l'aéronautique mais aussi dans l'automobile, l'entreprise, en tant que prestataire, avait subi le ralentissement de ces secteurs mis sous cloche par les confinements.
Un deal rapide ou prémédité ?
Les difficultés passagères du groupe ont-elles attisé l'appétit du géant Adecco ? Non rétorque la direction, qui assure que ce rapprochement est uniquement dû à l'évolution de la structure du marché. "Les contacts avec Adecco ont été très récents", assure-t-on à la tête du groupe. Du côté des syndicats, cette annonce interpelle sur les motivations du plan social et de la politique de non-remplacement de certains salariés. "De toute évidence, ce PSE n'avait pas d'autre but que de faire le ménage avant de céder l'entreprise", tempête Marc Vicens, délégué central Force Ouvrière. "On a voulu rendre la mariée plus belle. On n'imagine pas que ces différents acteurs se soient rencontrés hier. Mais avec le recul, plusieurs signes nous laissaient penser qu'une opération de ce genre pouvait se dérouler", estime Olivier Percheron, responsable syndical CFDT au sein de la filiale Akka High Tech.
Les syndicats font notamment référence à l'entrée au capital, à la fin de l'année 2020, de la Compagnie Nationale à Portefeuille (CNP), pour une souscription de 150 millions d'euros lors d'une augmentation de capital d'un montant total de 200 millions d'euros. "Nous étions à la recherche d'un partenaire financier à ce moment-là", rétorque la direction de l'entreprise.
Plus de six mois après cette opération capitalistique, c'est bien une cession qui est actée. Mais celle-ci devrait s'étaler sur plusieurs mois, avec un closing espéré au premier trimestre 2022. Une période d'observation stratégique qui permettra de trancher notamment l'avenir de la marque Akka. Le rachat se fera en deux temps. Adecco va d'abord acquérir les parts de la famille Ricci et de la CNP. Mauro Ricci et Jean-Franck Ricci, qui détiennent 33,10% du capital, recevront 42 euros par action en numéraire auxquels s'ajoutera un équivalent de 7 euros par titre payé en actions Adecco. La CNP et les autres membres de la famille Ricci, qui détiennent ensemble 26,81% du capital d'Akka Technologies, seront de leur côté payés entièrement en numéraire.
Des actions pour les salariés ? Un "projet dépriorisé"
Adecco procédera ensuite à une offre publique d'achat obligatoire en Belgique, où le siège social d'Akka technologies avait été transféré en 2018, et en France pour retirer les titres restants de la cote, également au prix de 49 euros par action. C'est un prix de rachat "très attractif" ont jugé des analystes d'ODDO BHF, notant dans un commentaire boursier que les spécialistes de l'intérim et du travail temporaire étaient "prêts à payer des primes significatives" pour se renforcer sur ce segment "à forte croissance" qui "bénéficiait d'une meilleure rentabilité que leur métier historique".
Cette opération d'acquisition aurait pu bénéficier aux salariés. Selon plusieurs sources concordantes, le patron Mauro Ricci, dans un "tchat" avec les employés, avait annoncé au mois de mai sa volonté de proposer aux équipes un quota d'actions à prix préférentiel, avec une décote de 25% selon une source syndicale. L'action tournait autour de 23 euros en avril, contre 47.10 euros en clôture ce mercredi (+91%). Si ce projet nous a bien été confirmé par la direction, rien n'a filtré au sujet des modalités envisagées. "Ce projet a été dépriorisé", a seulement commenté la direction.
Construit à coups d'acquisitions, Akka Technologies se vend à Adecco pour créer un leader du conseil en ingénierie - La Tribune
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