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Wednesday, December 22, 2021

«L'objectif pour la Chine est d'acquérir des technologies étrangères» - RFI

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Un éminent professeur de chimie à Harvard a été reconnu coupable mardi par un tribunal fédéral de Boston d'avoir caché aux autorités ses liens avec un programme chinois suspecté par les États-Unis d'espionnage économique. Entretien.

Aux États-Unis, Charles Lieber, un éminent professeur d'Harvard, a été reconnu coupable par la justice américaine d’avoir caché ses liens avec l’Université technologique de Wuhan. Il avait déclaré n’avoir aucun lien avec un quelconque programme de recherche chinois. Il risque cinq ans de prison.

Même si la justice américaine a reconnu que participer à des programmes de recherches internationaux était toujours légal, elle a estimé que tout devait être déclaré aux autorités américaines. Ces dernières veulent ainsi pouvoir détecter toutes tentatives d'influence chinoise dans la recherche américaine qui sont de plus en plus courante dans un contexte de guerre technologique entre les deux pays. Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des politiques étrangères chinoises, revient sur les objectifs chinois dans le monde universitaire. 

RFI : Quel est l'intérêt pour la Chine de recruter des chercheurs étrangers comme ici Charles Lieber qui travaillait pour l'Université technologique de Wuhan ? 

Antoine Bondaz : Il y a d’abord eu une volonté très claire de la Chine, à partir du milieu des années 1980, de rattraper son retard, notamment sur le plan scientifique et technologique, par rapport aux États-Unis, et plus largement par rapport aux pays occidentaux.  

Et puis ces dernières années, alors que la Chine accélérait ce rattrapage, elle a décidé d'attirer des scientifiques sur son territoire. Que ce soit des Chinois partis à l'étranger pour étudier, mais aussi potentiellement des étrangers qui seraient intéressés de venir travailler et faire des recherches en Chine. Cela s’est fait à travers plusieurs programmes de recrutement, le plus connu étant le programme des « Mille Talents », mais aussi avec des programmes de coopération. L'objectif pour la Chine est de façon licite, parfois illicite, d'acquérir des technologies étrangères et donc de rattraper son retard. 

Y a-t-il a d’autres cas concrets où l’on a pu constater une pénétration chinoise dans des milieux universitaires comme c’est le cas avec Charles Lieber ?  

Oui effectivement, le programme Mille Talents est un programme public sous l'autorité du ministère de l'Éducation, mais en coopération et coordination étroite avec différentes institutions au sein du Parti communiste, comme le département du Front uni. Et puis « Mille Talents » n’est pas le seul programme qui vise à recruter des personnalités à l'étranger. Que ce soit parfois des prix Nobel, là c'est évidemment extrêmement visible, mais aussi des développeurs, des créateurs de start-up à l'étranger afin de les attirer en Chine et in fine les faire participer à l'accroissement des capacités d'innovation dans le pays. 

Il y a des cibles privilégiées par la Chine ? 

Les pays les plus ciblés sont évidemment les pays qui sont le plus en avance sur le plan scientifique et technologique, notamment l'ensemble des pays occidentaux. Que ce soit en Australie, aux États-Unis et en Europe, il n'y a pas un pays plus ciblé qu’un autre. Il faut en revanche souligner que les différents pays qui sont visés par la Chine sont en train de réagir, de s'organiser, notamment pour faire ce qu'on appelle en France de la protection du potentiel scientifique et technologique.

Alors que les pays anglo-saxons ont pris des mesures ces dernières années, c'est plutôt l'Europe continentale aujourd'hui qui peut être visée par la Chine. Non seulement parce qu'elle a un potentiel scientifique et technologique extrêmement important, mais aussi parce que les mécanismes de surveillance et de protection de ce potentiel sont parfois moins élaborés, moins développés qu'ils ne l'ont été en Australie, au Royaume-Uni ou même aux États-Unis.  

C'est d'ailleurs ce qu'illustre le cas de Charles Lieber... 

Effectivement. Le cas de Charles Lieber est assez emblématique de cette volonté américaine de mieux surveiller et protéger son potentiel scientifique et technologique. Il s’agit notamment de mettre des scientifiques face à leurs responsabilités lorsque ceux-ci ne mentionnent pas certains partenariats ou qu'ils mentent ouvertement sur les liens qu'ils peuvent avoir avec la Chine, sur les revenus qu’ils peuvent en tirer et ça peut se chiffrer en centaines de milliers d'euros. Plus largement, il s’agit de chercher à protéger un potentiel scientifique et technologique alors que la compétition technologique est aujourd'hui au cœur de la relation entre la Chine et les États-Unis et par extension avec les autres puissances occidentales. 

Les scientifiques américains, craignent eux que les enjeux politiques et géopolitiques briment leurs travaux de recherches. Ils ont raison de s'inquiéter ? 

L'objectif est d'éviter de tomber dans l'outrance et de remettre en cause l'ensemble des partenariats et des coopérations scientifiques et technologiques qu'il y aurait avec la Chine. 

Ce qui est important, c'est de faire la part des choses entre certaines coopérations qui peuvent être sensibles, notamment dans le domaine des sciences ou des technologies qui pourraient être considérées comme duale, que ce soit dans l'aéronautique ou dans l'acoustique marine comme c'est parfois le cas en France ou en Europe. Et puis des coopérations qui sont beaucoup moins sensibles par exemple dans les sciences humaines. Il faut faire la part des choses sur le degré de sensibilité des coopérations et ensuite sur la vulnérabilité potentielle de certains scientifiques, de certains chercheurs. L'objectif étant avant tout de les protéger et d'éviter que des pays étrangers que ce soit la Chine ou d'autres pays ne les mettent dans des situations qui soient illégales au regard de la loi de leur pays national. 

Dans le cas de Charles Lieber, le caractère sensible de ses recherches est-il avéré ? 

Il faut toujours faire extrêmement attention quand on commente une décision de justice. Il y a d'un côté la décision de justice et de l'autre la communication qui en est faite. La décision de justice n'est, a priori, pas politisée. En revanche, la communication qu'il peut y avoir autour, par le département de la Justice ou par le gouvernement pour médiatiser cette affaire et « sensibiliser » le reste de la population, est forcément politique. 

Il faut tout de même faire attention et éviter de tomber dans l'outrance. Ce n'est pas parce que des chercheurs chinois sont sur le territoire américain ou en Europe qu'ils ont forcément pour objectif de capter des technologies étrangères ou de mener des opérations illicites. Il faut évidemment raison garder, mais il faut en même temps avoir conscience que dans certains types de coopération qui sont aujourd'hui sensibles, il faut peut-être faire un audit, voire prendre mesures supplémentaires pour encore une fois in fine protéger le potentiel scientifique et technologique, que ce soit en France ou dans les autres pays. 

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