Datant de 1985, «Profession: génie» montre qu'il ne peut y avoir de sciences sans réflexion philosophique et éthique.
En tant que rédactrice en chef de la rubrique Future Tense, j'impose quelques règles à mes journalistes. La plus cruciale est la suivante: interdiction de commencer un papier par un scénario effrayant ou utopique et d'écrire «On dirait de la science-fiction, mais en réalité...»
J'exige également une raison extrêmement solide pour invoquer certaines des plus grandes œuvres de science-fiction –1984, Le meilleur des mondes, Bienvenue à Gattaca, Minority Report, Terminator. C'est aussi valable pour les termes les plus populaires dérivés de ces œuvres: Skynet, précognition, orwellien, Big Brother. Et merci d'éviter également toute référence à la philosophie de la Silicon Valley «move fast and break things» [fonce, quitte à tout casser, ndt].
Ça a probablement l'air injuste, mais quand je ne fais pas ça, tous les articles se mettent à se ressembler et à prendre un air dystopique (ça aussi c'est un mot que j'essaie d'utiliser avec parcimonie, jamais quand ça veut juste dire «un peu sinistre ou dérangeant»).
Il est essentiel de rappeler les conséquences involontaires –ou délibérément nuisibles– des nouvelles technologies, mais si vous collez des robots tueurs doués de sens dans chaque article sur la moindre prouesse robotique marginale accompagnée d'une vidéo sympa, soit les lecteurs vont finir par croire que tous les robots sont synonymes de mort de l'humanité, soit, et c'est encore pire, très vite les véritables alertes ne leur feront plus ni chaud ni froid.
Incontournable
Il y a en revanche un film que j'aimerais voir passer plus souvent, et c'est Profession: génie (Real Genius), la comédie de 1985 avec Val Kilmer. C'est un de mes films préférés depuis que je suis toute petite, bien longtemps avant d'avoir imaginé que je pourrais moi-même faire carrière dans un secteur lié aux nouvelles technologies. Aujourd'hui, à mes yeux, c'est un incontournable pour quiconque vit des technologies de pointe, que ce soit dans un laboratoire ou dans la haute fonction publique.
Profession: génie se déroule à Pacific Tech, une version fictive de l'université de Caltech, et raconte l'histoire d'étudiants géniaux qui vivent, étudient et font des blagues ensemble tout en mettant au point des nouvelles technologies qui vont changer la face du monde. Quand j'étais gamine, le côté dingo me plaisait énormément. J'avais envie d'imaginer la fac comme un lieu grouillant de prodiges qui utilisaient leur cerveau pour recouvrir un dortoir de glace et organiser des concours de sosies de Marie Curie (je pense que j'aurais eu ma chance, surtout si le seul autre concurrent avait fini par être disqualifié). Je le regardais en boucle.
Il m'a fallu plusieurs visionnages et plusieurs années avant de commencer à absorber le véritable message de ce film. Kilmer, qui joue un étudiant appelé Chris Knight, partage sa chambre avec un petit génie de 15 ans, Mitch. Mitch n'a qu'une idée en tête: découvrir toujours plus de choses sur les lasers pour en fabriquer, mais Chris, qui estime avoir perdu trop de temps à étudier à la fac, consacre toute son énergie à apprendre à cette version plus jeune de lui-même à se faire des amis, à rencontrer des filles (plutôt rares à Pacific Tech, cela dit) et à se détendre.
Pour le mettre en garde, Chris lui montre un type qui vit dans les conduits d'aération souterrains, qui avait commencé la fac encore plus jeune que Mitch, mais qui avait craqué en apprenant que la technologie sur laquelle il travaillait était utilisée pour tuer des gens.
Cinq mégawatts
Pendant ce temps, le méchant professeur Jerry Hathaway travaille avec le gouvernement pour créer un laser super secret qui servira à commettre des assassinats depuis l'espace. Mais il ne peut y parvenir sans Chris et Mitch. «Les lasers sont une science encore jeune», dit Chris à un moment –ceci dit, Hathaway aurait pu engager davantage de gens pour travailler dans son laboratoire s'il ne piquait pas dans la caisse.
Au final, Profession: génie est un film sur l'innovation responsable –sur le fait qu'il ne peut y avoir de science sans philosophie, comme le dit Chris. Fabriquer un laser qui atteint 5 mégawatts n'est pas juste un casse-tête scientifique; ses créateurs doivent réfléchir à la manière dont leurs inventions seront utilisées et aux intentions de la personne qui a voulu les créer au départ (en janvier 2021, David Rothkpof disait sur Twitter: «Le laser le plus puissant du monde aujourd'hui est un appareil à 10 pétawatts. C'est 10 millions de milliards de watts.»)
In the 1985 movie "Real Genius," Val Kilmer's character is persuaded to stay at school by the prospect of seeing a 5 megawatt laser. The most powerful laser in the world today is a 10 petawatt device. That's 10 million billion watts. I just thought you like to know that.
— David Rothkopf (@djrothkopf) January 5, 2021
Une autre époque
Bien sûr, ce film est aussi une capsule temporelle. Il n'y a qu'une étudiante à Pacific Tech; les autres personnages féminins sont une groupie de génies, des étudiantes esthéticiennes qui se font draguer par les génies et une administratrice de la fac. En 2015, pour le trentième anniversaire du film, Phyllis Rostykus a écrit un article pour Future Tense sur le fait d'avoir été une des étudiantes de Caltech –à une époque où il y avait une jeune femme pour sept jeunes hommes– qui ont inspiré le personnage de Jordan. «À Caltech et après, j'étais un des gars –et c'était peut-être une tactique de survie», écrit-elle.
Mais malgré tous ses défauts, Real Genius est également un prisme utile par lequel nous pouvons réfléchir à l'innovation, au progrès et à la part de la prise de décision humaine dans le cadre de la science. Si vous voulez créer de façon responsable, regardez-le au minimum une fois par an. C'est un impératif moral.
Si vous travaillez dans les nouvelles technologies, vous devez absolument avoir vu ce film | Slate.fr - Slate.fr
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