Il y a un peu plus d’un siècle, entre la fin du XIXe siècle et l’entre-deux-guerres, s’initiait, en Europe et en Amérique du Nord, un exode rural qui a profondément marqué le développement des territoires. Cette reconfiguration, étendue après la Deuxième Guerre à l’ensemble du globe, se poursuit aujourd’hui, à une vitesse moindre dans les pays dits avancés mais encore de manière incontrôlée dans certains pays en développement. Ainsi, entre 1992 et 2019, la superficie des zones urbanisées a doublé dans le monde.
Les limites de l’urbanisation
Jusqu’à tout récemment, on considérait cette urbanisation comme un indicateur significatif d’un développement économique aux retombées sociales positives : taux d’alphabétisation plus élevé, mortalité infantile moindre, allongement de l’espérance de vie, amélioration de la salubrité etc., autant de preuves indiscutables de progrès.
Les limites de ce mouvement migratoire semblent aujourd’hui atteintes. La densité urbaine cause des problèmes de plus en plus marqués : difficulté croissante à maintenir les infrastructures et les capacités d’accueil nécessaires au bien-être des populations, congestion routière endémique, pollution atmosphérique permanente, pression sur le marché immobilier rendant de plus en plus difficile l’accès à la propriété, violences urbaines plus difficile à contrôler etc. Dans ce contexte, les territoires urbains peinent à définir les modalités d’un vivre ensemble qui donnerait à chacun, peu importe son statut économique, social ou géographique, un environnement de vie offrant stabilité et perspectives.
Au cours de ce dernier demi-siècle, le désengagement progressif des États dans les infrastructures a contribué à renforcer ces problématiques : transport collectif, production et distribution d’énergie, assainissement et distribution de l’eau, collecte et gestion des déchets, services de santé et enseignement relèvent le plus souvent d’un partage de responsabilités entre l’administration publique et des entreprises privées ou des organismes associatifs. Si les collectivités territoriales, quelles que soient leur taille et leurs missions, ne sont pas en capacité de dégager des budgets à la hauteur des enjeux, dans les pays fortement centralisés comme la France, elles doivent en outre obtenir la marge de manœuvre nécessaire à leur action politique de proximité.
Les nouveaux enjeux du développement des territoires
On a longtemps opposé les villes et les campagnes, la croissance de la densité urbaine s’accompagnant d’une décroissance de population des zones rurales avec en parallèle une diminution importante de leur économie agricole ou manufacturière. À cette époque, seules les zones urbaines semblaient pouvoir offrir une qualité de vie et un confort à la hauteur, le « plouc » arriéré étant l’image caricaturée d’une campagne moribonde. La dynamique du marché de l’emploi ou de la création d’entreprises, les niveaux de revenus et le coût de la vie, l’offre académique et la vie culturelle sont devenus les indicateurs de référence de cette attractivité des villes, mise à jour chaque année par les journaux économiques. Dans ces classements, la ruralité figure à titre anecdotique voire ironique dans les concours de plus beaux villages de France, présentés sous l’angle du témoin historique, du savoir-faire ancestral ou de l’architecture en voie de disparition. Pourtant, ces indices d’attractivité réservés aux territoires urbains semblent bien artificiels, hormis pour ce qu’elles offrent aux villes gagnantes comme argument dans des opérations de communication à grand déploiement pour attirer de nouvelles entreprises ou faire venir les touristes.
LIRE AUSSI : Ouest-France lance un nouveau magazine, intitulé « Ruralités »
Attirer de nouveaux habitants, c’est augmenter la taille de sa population, une démarche apparemment efficace pour augmenter les revenus locaux, diversifier l’offre de services, attirer des emplois, des centres de recherche, des sièges sociaux, des commerces et boutiques de référence, tout cela pour créer en apparence un effet d’entraînement positif. En ce sens, c’est une compétition contre les autres villes ou les autres régions, peu importent les conséquences pour les territoires moins attractifs.
Or une telle approche du développement des territoires fait fi de deux réalités importantes :
•La plupart des êtres humains souhaitent conserver un lien avec leurs racines et s’établir à proximité du lieu où ils sont nés.
•L’arrivée souhaitée de nouveaux résidents et la nécessité de développer les infrastructures permettant de les accueillir de manière adaptée est une équation aujourd’hui impossible à résoudre dans les centres urbains.
Or, avec le développement du numérique ces quinze dernières années, les zones rurales ont retrouvé des opportunités de dynamisme jusqu’ici hors de portée. La possibilité de travailler à domicile ou dans des tiers lieux a ouvert les yeux et les esprits d’une partie de la population urbaine, principalement des cadres, sur les possibilités de vivre à la campagne tout en travaillant à distance avec la ville.
Collaboration et… Individualisme
La pandémie des deux dernières années a accéléré les discussions sur le télétravail sans qu’une démarche standardisée de la gestion des ressources humaines puisse répondre à tous les besoins perçus. En effet, il existe dans nos sociétés presque autant de situations uniques qu’il y a d’individus.
L’un des traits distinctifs de la collaboration à distance est qu’elle est justement personnalisable. De nouveaux paramètres entrent en jeu : la situation familiale, la possibilité d’aménager correctement un espace de travail dans son logement, le rapport au travail différent suivant les générations, l’aptitude des individus à travailler seuls, l’offre de transport public ou les infrastructures routières permettant de se rendre au bureau à la demande, le maintien du lien social nécessaire à la cohésion et au dynamisme des équipes, etc. Sur ces questions, chaque collaborateur souhaiterait une configuration qui réponde à son cas propre et devient exigeant sur les propositions formulées par les services de ressources humaines.
On a longtemps opposé les villes et les campagnes, la croissance de la densité urbaine s’accompagnant d’une décroissance de population des zones rurales avec en parallèle une diminution importante de leur économie agricole ou manufacturière.
Dans le contexte du télétravail collaboratif, le positionnement des territoires sur des enjeux d’attractivité comme principal paramètre d’évaluation manque cruellement de pertinence. Ce qui intéresse les entreprises et leurs salariés, c’est la capacité d’un lieu à assurer le développement de l’économie de réseau et à maintenir un sain environnement de collaboration pour tous. Comparer entre elles des métropoles et des villes moyennes, opposer la ville à la campagne n’est pas de nature à accompagner les décideurs publics et privés sur les deux enjeux qui devraient les préoccuper :
•Comment garantir le meilleur environnement de développement humain pour les résidents d’aujourd’hui ?
•Comment se projeter à un demi-siècle ou un siècle dans le futur pour initier et développer les infrastructures permettant aux résidents de demain de bénéficier à leur tour des meilleures conditions d’épanouissement ?
Sur le plan individuel, la stabilité économique, le maintien d’un environnement de vie sain (santé physique et psychologique, bonne santé environnementale), les perspectives de développement personnel et la capacité de se déplacer pour couvrir l’ensemble de ses besoins sont aussi nécessaires que peuvent l’être au niveau collectif la maîtrise de la consommation d’énergie, la réduction de la production des déchets et le développement d’une économie résiliente.
Des territoires aux limites inadaptées à l’économie de réseau
Pour des raisons logiques de gestion et d’organisation, les territoires sont définis par des frontières politiques. Or ceux-ci reflètent rarement la réalité des sociétés locales. Le développement des moyens de transport au XXe siècle et du numérique au XXIe siècle ont brouillé les frontières des villes, des agglomérations urbaines, des régions administratives historiques et même des États.
Aujourd’hui, la réalité quotidienne du plus grand nombre s’inscrit à l’intérieur d’une aire de quelques dizaines de kilomètres carrés, avec des besoins plus ou moins fréquents de déplacement vers la capitale territoriale la plus proche, ville de taille moyenne ou métropole, typiquement distante de moins de cent kilomètres.
Cette grande ville offre les infrastructures, commerces et services publics pour lesquels le besoin n’est qu’épisodique : état civil, gare de train à grande vitesse et aéroport, établissements de soins de santé spécialisés, commerces de prestige, offre culturelle et artistique, biens de consommation à longue durée de vie ou de niche, etc. Cette offre n’est majoritairement pas produite localement ce qui confirme le rôle de l’espace urbain comme nœud d’irrigation au sein d’un plus vaste réseau économique.
La coopération, le réel enjeu de l’aménagement des territoires
Dans ce contexte, les enjeux des territoires se situent à trois niveaux :
•Comprendre les besoins et anticiper leur évolution sur des territoires métropolitains étendus, couvrant des espaces qui vont au-delà des limites administratives et politiques actuelles.
•Assurer un développement du numérique garantissant l’accès à l’ensemble des services dont la dématérialisation s’impose chaque année davantage, en prenant en compte les enjeux des fractures numériques (zones blanches, illectronisme, addiction, monopolisation et spéculation sur les données).
•Adapter les infrastructures et la flexibilité de l’offre de services de transport entre la capitale territoriale et l’ensemble de son aire d’attractivité pour permettre la flexibilité nécessaire à ce nouveau paradigme du travail en mode hybride.
Cette vision du développement implique une interdépendance des aires d’attractivité des territoires et un certain floutage de leurs frontières. Le résident-électeur-travailleur-consommateur détermine ses choix sur la base de la disponibilité, la variété et la proximité des solutions qui lui sont proposées.
Un dialogue ouvert entre les territoires contigus est donc indispensable, par-delà les frontières politiques et administratives, afin de valoriser les complémentarités plutôt que les différences.
Et pour être bien sûrs d’agir ensemble dans ce but, pourquoi ne pas confier aux agences marketing un nouveau mandat : faire briller l’indice de collaboration interne et externe de chaque territoire.
Ce sera bien plus attractif auprès des futurs résidents que d’attiser les vieilles rivalités de clochers héritées d’un autre siècle.
POINT DE VUE. Territoires et technologies de l'information : à la recherche de nouveaux équilibres - Ouest-France
Read More
No comments:
Post a Comment