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Saturday, June 11, 2022

Jacques Rougerie : «Grâce aux technologies, nous vivrons de nouveau en harmonie avec la nature» - Paris Match

Sur tous les continents, des femmes et des hommes luttent pour préserver l’environnement. Cette semaine, Match a embarqué avec un fils spirituel de Jules Verne qui veut faire des océans notre future demeure.

Paris Match. Parlez-nous de “SeaOrbiter”, cette idée folle ?
Jacques Rougerie. “SeaOrbiter” est l’aboutissement de toutes mes recherches et le concentré de toutes mes passions. Il s’agit d’une plateforme à la fois scientifique et technologique, une base sous-marine mobile qui servira d’outil d’éducation et de communication pour tout ce qui concerne les enjeux océaniques, de biodiversité et du climat. Je l’ai conçue comme la première station océanique internationale, à l’image de l’ISS dans l’espace. J’ai toujours été fasciné par les parallèles entre exploration spatiale et subaquatique. Pour moi, ces deux grandes aventures humaines sont intimement liées. Elles génèrent un foisonnement de nouvelles connaissances, qui font éclore d’autres perspectives sur terre avec une incidence dans nos modes de vie : communication, mobilité, urbanisme, architecture, façonnant ainsi le devenir de nos sociétés. Ce n’est pas un hasard si Cousteau a développé sa première maison sous-marine l’année où l’homme est allé pour la première fois dans l’espace. Les similitudes de vie confinée dans ces deux milieux extrêmes constituent un sujet d’études passionnant et peuvent nous apprendre beaucoup. C’est pourquoi, aujourd’hui, il est indispensable de disposer au niveau international d’une base permanente qui permette de rassembler les chercheurs pour développer une politique bienveillante d’exploration et d’innovation.

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Comment un architecte-océanographe peut-il participer aux balbutiements de l’exploration sous-marine ?
En réalisant des maisons subaquatiques comme “Galathée” ou des bateaux à coque transparente permettant d’observer et de découvrir la biodiversité sous-marine, en décrochant aussi ce record du monde de soixante-neuf jours sous la mer, pendant lequel m’est venue l’idée de “SeaOrbiter” qui permettra aux chercheurs d’observer, in situ, l’univers subaquatique 24 heures sur 24 sur de longues durées. Les chercheurs-plongeurs pourront sortir de cette base directement sous l’eau ; 80 % des observations se feront en dérive, afin de mieux comprendre comment évolue la biodiversité ou d’écouter la vie en continu dans les grands courants océaniques.

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C’est aussi un engin qui fait rêver. Quand on le voit, on pense à un vaisseau de science-fiction !
Je suis très sensible à la beauté, à l’harmonie et aux symboles. Pour donner envie, pour que chacun puisse s’identifier à ce projet, il faut des images fortes. Pour moi, Léonard de Vinci puis Jules Verne ont été ces sources d’inspiration. Ils m’ont incité à m’embarquer dans l’aventure extraordinaire des sciences et de l’exploration des nouveaux mondes. Nous devons transmettre nos connaissances et nos passions en sensibilisant et en éduquant la jeune génération aux grands enjeux de l’espace et des océans. Je souhaite, pour elle, que “SeaOrbiter” ait un fort impact international.

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L’œuvre d’un pionnier : depuis quarante ans, il bâtit sous les eaux

Ce projet est ancien. Quand espérez-vous le voir aboutir ?
En effet, il a déjà 10 ans. À l’époque, il était trop innovant, mais aujourd’hui il a toute sa légitimité. Il est donc nécessaire de l’adapter aux nouvelles technologies. Et c’est pourquoi Rodolphe Saadé, le patron de CMA CGM, a décidé de nous accompagner. Entre les études, la construction et les essais en mer, le coût du projet est estimé à 72 millions d’euros. Nous sommes à la recherche de nouveaux partenaires engagés dans la transition écologique pour participer à cette extraordinaire aventure. “SeaOrbiter” a aujourd’hui toute sa place dans la “blue economy” qui se dessine pour le futur. Et il a retenu l’attention du président Macron lors du One Ocean Summit, à Brest, en février dernier.

La montée du niveau des océans est très préoccupante. Quelles solutions pouvons-nous envisager pour nous adapter à ce phénomène ?
Aujourd’hui, nous sommes 7 milliards d’êtres humains, dont la moitié vit près du littoral. Demain, nous serons 11 milliards et 75 % vivront près des côtes. C’est paradoxal, mais malgré les risques liés à la montée des eaux, la pression sur le littoral va devenir de plus en plus forte. L’OCDE vient de publier un chiffre effarant : la montée du niveau des océans impactera près d’un milliard de personnes dans le monde. L’accélération est considérable. Néanmoins, elle va s’étendre sur cinquante ou cent ans, ce qui nous laisse un peu de temps notamment pour tester des solutions. Comme dit l’autre, “allons doucement car nous sommes pressés”. Nos réponses doivent être adaptées aux zones géographiques, culturelles, économiques et respecter les modes de vie des populations. Le Bangladesh ou les Maldives n’auront pas à gérer les mêmes problématiques que la Camargue ou les Pays-Bas. Avec notre agence d’architecture Rougerie+Tangram et notre Lab, nous travaillons sur l’aménagement du littoral. Nous avons notamment imaginé un projet pour un atoll situé en Polynésie française, composé de structures flottantes pour que les habitants puissent continuer à vivre sur leurs terres ancestrales. J’ai créé la Fondation Jacques Rougerie, abritée à l’Institut de France, pour récompenser et valoriser l’imaginaire extraordinaire des jeunes architectes et ingénieurs du monde entier. Notre concours international d’architecture leur permet de proposer des solutions très concrètes. Il faut croire au génie humain et à sa capacité d’adaptation ! J’ai toujours voulu bâtir le futur en liant l’architecture, l’océanographie et le biomimétisme.

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Vous avez un autre projet, plus utopique : la création d’une civilisation de “Mériens”. Qui sont-ils ?
Des aquanautes, des êtres du monde sous-marin que j’appelle affectueusement les Mériens parce qu’ils vivent en harmonie avec l’élément aquatique, ce qui détermine une philosophie, un regard et un comportement spécifique. J’ai séjourné, à plusieurs reprises, dans des maisons sous-marines sur de longues durées. Vous n’imaginez pas le bonheur que cela m’a procuré. Jules Verne disait : “Tout ce qu’un homme est capable d’imaginer, d’autres hommes seront capables de le réaliser.” C’est dans cet esprit que j’ai dessiné la Cité des Mériens : son architecture est inspirée par la raie. Elle pourra accueillir 25 000 Mériens, des chercheurs, des scientifiques, des étudiants…

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“Sea Orbiter” est le projet de ma vie. Ce sera l’ISS de la mer

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Cette “économie bleue”, cet “or bleu” relèvent du rêve ou de la réalité ?
Il y a à peine dix ans, nous étions peu nombreux à avoir une approche sensible sur la question écologique liée aux océans et quand nous allions voir les acteurs industriels pour leur proposer des initiatives audacieuses, des projets de recherche, ils nous écoutaient avec un sourire poli, et on en restait là. Aujourd’hui, le monde économique a pris conscience qu’il s’agissait d’un enjeu clé. L’économie bleue constitue le secteur de croissance de demain. Je vois avec bonheur que toute une génération possède naturellement cette sensibilité qui manquait cruellement. Parmi elle, les décideurs économiques et politiques de demain.

Mais l’exploitation des ressources sous-marines, même avec de bonnes intentions, ne va-t-elle pas conduire à répéter des erreurs ?
L’océan est un gigantesque réservoir d’où jailliront les énergies renouvelables, la nourriture, la pharmacologie et les biotechnologies du futur. Il faut l’explorer, mais utiliser des modes opératoires spécifiques car c’est aussi un milieu extrêmement fragile. Quand on parle, par exemple, de construire des villes sur l’eau, certains s’imaginent qu’on va couler du béton sur du corail. Évidemment il ne s’agit pas de cela ! Les villages ou les villes sur l’eau devront répondre aux exigences environnementales. Ces modes de réflexion, d’exploitation ont été assimilés par les plus jeunes. Dans cent ans, le mot “écologie” sera une notion tellement intégrée qu’il ne sera même plus la peine de la mentionner.

Comment voyez-vous le monde dans cinquante ans : croyez-vous en une humanité qui vivra en harmonie avec la nature ?
Je suis un rêveur, mais un rêveur pragmatique, qui va au bout de ses rêves. Je comprends le discours alarmiste mais je suis persuadé que nous sommes encore à l’aube de l’humanité. Ce sont les nouvelles technologies qui vont nous permettre de vivre un futur résilient, en harmonie avec la nature, parce qu’il est primordial de retrouver le lien sacré qui nous unit. Les imprimantes 3D vont permettre de construire les habitats bio-inspirés, mieux adaptés aux phénomènes climatiques comme aux cadres de vie. Les architectes s’appuient déjà sur ces nouvelles technologies. Il existe par exemple des matériaux électrochromes pour les surfaces vitrées, qui s’obscurcissent naturellement au soleil et repoussent la chaleur. Ou des isolants en aérogel très efficaces. Ou encore du béton bas carbone qui permet de stocker et de restituer la chaleur. Toutes ces solutions, couplées avec des habitats connectés, permettront de réguler notre consommation énergétique. Je rêve de voir se développer cette nouvelle architecture biomimétique, inspirée de la nature parce qu’elle relève les grands défis environnementaux et sociétaux. Certaines des utopies baba cool des années 1970, dont on se moquait, s’annoncent comme les solutions d’avenir.

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