Yannick Jadot, candidat du parti Europe-Ecologie-Les Verts à l'élection présidentielle de 2017, s'adresse à la presse près de la centrale nucléaire de Fessenheim en janvier 2017.
Le nucléaire est aujourd’hui devenu en France un marqueur politique [1] entre une Droite de plus en plus nationaliste et une Gauche de plus en plus wokiste. L’anti-nucléarisme de la Gauche (devenue « Extrême Gauche » avec la formation de NUPES [2]) est symptomatique de son changement de logiciel. Trotskiste dans ses jeunes années, Jean-Luc Mélenchon, comme la plupart de ses collègues socialistes et communistes, a défendu l’atome bec et ongle. Mais la vague verte portée par les écologistes a eu raison de lui. À gauche, seul le communiste Fabien Roussel défend encore le nucléaire.
Avant de s’intéresser à « Dame Nature », les écologistes ont d’abord été pacifistes. S’opposant frontalement à la prolifération des armes nucléaires et à la guerre du Vietnam [3], leur anti-nucléarisme civil a émergé de la « contre-culture » venue d’outre-Atlantique. Promue en France par des intellectuels d’extrême-gauche comme Jean-Paul Sartre, Jacques Derrida, Michel Foucault ou Simone de Beauvoir, cette contre-culture pacifiste et anti-impérialiste intégra dès les années 1960 les grandes valeurs indigénistes, féministes, homophiles et racialistes aujourd’hui prônées par le mouvement « wokiste ». En France elle s’exprima notamment dans la lutte non-violente contre l’extension du camp militaire du Larzac. Père de l’écologie politique française et candidat à la présidentielle de 1974, René Dumont fut le prototype même du pacifiste écologique. Par filiation, les écologistes ne peuvent être qu’antinucléaires. Selon l’ancien ministre Brice Lalonde [4] : « Au sein du mouvement écologiste [accepter le nucléaire] c’est comme renier la Bible pour un chrétien ».
Si EELV [5] utilise aujourd’hui de façon tactique des arguments sécuritaires (risque nucléaire, traitement des déchets) ou économiques (coût des EPR et du grand carénage), leur anti-nucléarisme repose toujours et avant tout sur leur « chromosome » pacifiste. Comme le confirmait Yannick Jadot dans son discours fondateur de Lyon le 29 janvier 2022, l’opposition des Verts au nucléaire « n’est ni technique ni climatique, elle est politique en plus d’être morale ». Cette position renforce notre conviction quant à la mécanique climatogauchiste dont la priorité n’est pas la lutte contre le réchauffement climatique, mais la mise à bas de la société de croissance et son démon capitaliste. Cette instrumentalisation du climat par l’écologie politique est confirmée par le jeu trouble d’ONG « bien-pensantes » allemandes ayant obtenu du géant Gazprom[6] [7] [8] de juteux financements en échange d’un puissant lobbyisme antinucléaire et anti-gaz de schistes.
Les Français sont-ils prêts à accepter sur leur sol la construction des nouveaux réacteurs nucléaires indispensables à la décarbonation de la société ? La Nation arrivera-t-elle à reconstituer dans les années à venir la « Force de Frappe » nécessaire à la construction des futures EPRs, SMR, voire surgénérateurs ? Il s’agit probablement du défi le plus important du futur quinquennat dont Emmanuel Macron a déclaré [9] « qu’il sera écologique ou ne sera pas ».
Quand on regarde la perception du nucléaire par nos concitoyens, rien n’est gagné. Si 60 % d’entre eux sont favorables au nucléaire civil [10], 78 %, dont deux tiers des 18 à 21 ans, considèrent le nucléaire comme impactant négativement le climat[11]. Pire une proportion importante de la jeunesse considère le nucléaire comme davantage émetteur de CO2… que le charbon. Quant à la schizophrène Union Européenne, elle a érigé la lutte contre le réchauffement climatique au premier rang de ses priorités, mais a intégré l’atome du bout des lèvres dans la taxonomie verte.
Le « green deal » n’empêchera pas pour autant le nucléaire de croitre dans le monde. Progressivement se met en place une nouvelle carte géopolitique sur laquelle l’Europe semble ne pas vouloir s’inscrire. En se soumettant à une Chine conquérante détenant un pouvoir absolu sur la production des équipements renouvelables, l’Europe est en train de perdre son indépendance énergétique résiduelle et accroît un peu plus sa progressive vassalisation. Plutôt que d’adouber les ONGs fondamentalistes très présentes à Bruxelles, les commissaires européens et les gouvernements devraient davantage être à l’écoute des populations.
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Comparé à ses compétiteurs, le nucléaire a un avantage décisif en termes de lutte contre le réchauffement climatique : il représente la seule source d’électricité à la fois pilotable et décarbonée. Sur l’ensemble de son cycle de vie, un MWh nucléaire émet 12 kgCO2, contre 15 pour l’éolien, 24 pour l’hydraulique, 45 pour le solaire photovoltaïque, 230 pour la biomasse, 490 pour le gaz et 890 pour le charbon [12].
Par rapport aux énergies fossiles et notamment au gaz, l’atome possède un avantage concurrentiel sur le plan de la sécurité énergétique. L’électricité gazière est un business d’OPEX [13] : le coût du combustible compte pour 90 % dans le prix du MWh alors que le coût des installations compte marginalement. En revanche, le nucléaire est un business de CAPEX [14] : le prix de l’uranium compte pour moins de 5 % dans le prix du MWh. De surcroit une fois rempli, un réacteur vit de son combustible entre quinze et trente mois. Contrairement au gaz, le nucléaire est donc très peu sensible aux aléas économiques et géopolitiques des matières premières. Même s’il ne produit pas d’Uranium, le nucléaire confère à un pays une sécurité énergétique sans comparaison avec la dépendance quotidienne induite par les énergies fossiles.
Non contente d’être la source d’électricité la plus propre, le nucléaire remporte aussi la « palme d’or » de la sécurité : par MWh produit, il possède un taux de mortalité 40 fois inférieur au gaz, 60 fois inférieur à la biomasse et 500 fois inférieur au charbon [15] [16]. Rien de très surprenant : l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé est sans commune mesure en comparaison d’accidents ponctuels fussent-ils majeurs comme Tchernobyl ou Fukushima.
Pour Tchernobyl l’ONU fait état de 3700 victimes (décès direct des « liquidateurs » + maladies long terme dues à l’irradiation) pour la période 1986 à 2005 soit en moyenne 185 morts par an. Quant à Fukushima, ses 22 000 morts et disparus sont exclusivement le fait d’un séisme puis d’un tsunami. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, l’accident nucléaire proprement dit n’a induit aucun décès ni engendré aucun accroissement du cancer de la thyroïde [17].
Significatifs pour les opposants à l’atome, ces chiffres restent pourtant marginaux quand on les compare à ceux beaucoup moins visibles d’autres sources d’énergie : à elle seule, l’électricité charbonnière tue sournoisement chaque année 250 000 êtres humains à la suite de problèmes respiratoires liés à la pollution de l’air.
Ces chiffres exceptionnels ne doivent pas pour autant occulter les risques. Même si leurs causes sont parfaitement identifiées (faillite du système communiste et macroséisme), Tchernobyl et Fukushima sont des accidents majeurs tant sur le plan de leurs conséquences sociétales qu’économiques. Elles ont induit dans l’opinion publique des craintes légitimes. Au nucléaire sont associées trois grandes externalités négatives : l’accident majeur, le démantèlement des centrales en fin de vie et le traitement des déchets.
Les acteurs du nucléaire couvrent les deux premières externalités en provisionnant leurs coûts potentiels au sein d’un fonds actualisé complexe à gérer. Ainsi, les accidents majeurs sont potentiellement associés à des coûts exorbitants (plusieurs centaines de milliards d’euros [18]), mais aussi à une probabilité d’occurrence très faible. Dépensés dans un avenir très lointain (le démantèlement) ou fort probablement inutilisés (on espère qu’il n’y aura jamais d’accident majeur), ces fonds sont constitués sur des hypothèses économiques très arbitraires tant sur le capital que son taux d’actualisation.
Cependant, pour l’opinion publique, c’est surtout la gestion des déchets qui fait aujourd’hui débat. Si le combustible enrichi contient initialement entre 4 % et 5 % d’Uranium235, au fur et à mesure de son utilisation dans le réacteur, ce pourcentage diminue progressivement pour atteindre des concentrations inférieures à 0,4 %. Cet Uranium « appauvri » peut dans un premier temps être réenrichi pour fournir un nouveau combustible. Cependant l’enrichissement a une limite résiduelle conduisant à des déchets ultimes restant plus ou moins radioactifs durant des périodes (on parle de « durée de vie ») s’étalant de quelques minutes à plusieurs dizaines de milliers d’années.
Une grosse partie des déchets ultimes sont de vie courte et très faiblement radioactifs. Sans aucun risque pour la santé, ils sont entreposés de façon rigoureuse en surface au CIRES dans l’Aube [19]. En revanche, les déchets fortement radioactifs et de vie longue sont dangereux pour la santé. Aussi doivent-ils être scellés dans des fûts vitrifiés puis stockés à tout jamais dans une formation souterraine rigoureusement imperméable ceci afin d’empêcher tout déplacement de radio nucléides. Un tel stockage est en cours de finalisation à Bures dans la Haute-Marne [20]. L’étanchéité du site est garantie grâce à une roche argileuse stable et totalement imperméable depuis plusieurs dizaines de millions d’années. Bien que techniquement solutionné, le stockage des déchets radioactifs n’en reste pas moins un problème sociétal aigu pour l’opinion publique. Une aubaine pour les organisations antinucléaires toujours à l’affut d’éléments négatifs alimentant le grand marché de la peur.
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Reposant en grande partie sur la relance du nucléaire civil, le discours fondateur délivré par le Président de la République à Belfort le 10 février 2022 balaie d’un revers de main vingt années d’errements énergétiques. Vingt années durant lesquelles on nous a inlassablement adjurés d’abandonner une filière d’excellence au profit d’unités solaires et éoliennes incapables de nous fournir le moindre MWh aux heures de pointe durant les périodes hivernales.
S’il n’y a jamais eu en France une réelle volonté de sortir du nucléaire comme tel a été le cas outre-Rhin après Fukushima, la filière a beaucoup souffert d’attaques incessantes portées par la Gauche en général, les Verts en particulier depuis la fin du siècle dernier.
Cette croisade antinucléaire date de 1977. Elle s’est pour la première fois cristallisée autour de la construction du surgénérateur Superphénix. Déjà à l’époque, les « comités Malville »[21] étaient constitués de milices d’extrême gauche issues de l’Organisation Communiste des Travailleurs, de la Ligue Communiste Révolutionnaire et d’ONGs fondamentalistes comme Greenpeace ou Les Amis de la Terre.
Lors de leur participation à la « gauche plurielle » de Lionel Jospin, les Verts représentés à l’époque par Dominique Voynet auront la peau de Superphénix. Quinze ans plus tard, l’accord électoral entre François Hollande et les Verts scellera la mort de Fessenheim et du projet ASTRID. En vingt ans d’inactivité, la France a inexorablement perdu son leadership historique au profit de la Chine et de la Corée. Voulue par le Président Macron, la relance du nucléaire est louable. Toutefois, le grand défi du futur ne sera pas seulement celui des coûts, du temps et de l’acceptation sociétale. Ce sera surtout celui des compétences [22].
Le problème avait été pointé du doigt dans le rapport Folz [23] datant d’octobre 2019. Ce remarquable document consacré aux retards et aux surcoûts de l’EPR de Flamanville avait soulevé le problème crucial des pertes généralisées de compétences dans une filière industrielle réclamant des ressources humaines deux fois plus qualifiées comparées à la moyenne de l’industrie.
La dernière centrale nucléaire (Civeaux) raccordée au réseau date de 1991. Cet arrêt quasi total de l’activité depuis près de trente ans a profondément perturbé la pyramide des âges de la filière empêchant notamment la transmission du savoir entre générations. Maîtrise d’œuvre, aptitude à gérer de très gros chantiers, compétence des bureaux d’études, disparition des fabricants de composants, la liste est longue quant à la dégradation du savoir-faire avec une mention particulièrement critique pour le soudage. Les très nombreux incidents et malfaçons observés sur Flamanville illustrent un déficit de compétences se traduisant notamment par une dramatique pénurie en soudeurs qualifiés.
Malgré un recrutement de 8000 personnes par an tous métiers techniques confondus, malgré les sites de formation d’EDF, la filière peine à reconstituer ce trésor humain qui avait transformé, au cours des années 1970 et 1980, le nucléaire français en filière d’exception.
Sous la pression d’une extrême-gauche antinucléaire tenant les rênes de l’enseignement supérieur, les jeunes ingénieurs sont de moins en moins enclins à vouloir travailler dans l’atome. Nous en prenons pour preuve cette prise de position de néo-diplômés d’Agro Paris Tech lors de la remise des diplômes 2022. Adoubés par leur direction ils avaient déclaré au cours d’un discours climatogauchiste assumé leur détestation de la société de croissance et leur opposition vindicative au nucléaire [24]. Le relancement de la filière voulue par l’État ne se fera pas seulement à coups de milliards, elle demandera aussi un effort pédagogique majeur vis-à-vis de nos jeunes générations.
[1] https://www.bvoltaire.fr/le-nucleaire-nouveau-marqueur-politique-entre-une-droite-nationaliste-et-une-gauche-wokiste/
[2] Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale
[3] https://www.nouvelobs.com/politique/20110719.OBS7300/le-pacifisme-fondement-de-l-ecologie-politique.html
[4] https://www.goodplanet.org/fr/peut-on-etre-ecologiste-et-pro-nucleaire/
[5] https://energie.eelv.fr/la-transition-energetique/pourquoi/sortir-du-nucleaire-pourquoi/
[6] https://www.contrepoints.org/2022/03/04/422715-des-ecologistes-ont-ils-ete-finances-par-le-gouvernement-russe
[7] https://atlantico.fr/article/decryptage/l-europe-dependante-du-gaz-russe-voila-pourquoi-il-est-plus-que-temps-de-faire-la-transparence-sur-le-financement-de-mouvements-ecologistes-par-la-russie-economie-environnement-allemagne-gaz-russe-gazoduc-nord-stream-2-guerre-en-ukraine-drieu-godefridi
[8] https://www.bvoltaire.fr/le-conflit-ukrainien-sonnera-t-il-le-glas-de-lecologie-politique/
[9] https://fne.asso.fr/communique-presse/ce-quinquennat-sera-ecologique-ou-ne-sera-pas
[10] http://www.odoxa.fr/sondage/retour-de-flamme-francais-faveur-nucleaire/
[11] https://www.lemonde.fr/blog/huet/2018/04/11/nucleaire-et-climat-la-grande-tromperie/
[12] https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3_ar5_annex-iii.pdf
[13] OPEX = operational expenditures ou dépenses de fonctionnement.
[14] CAPEX = capital expenditures ou dépenses d’investissement.
[15] https://www.contrepoints.org/2017/08/04/296088-nucleaire-source-denergie-plus-sure
[16]http://academie-technologies-prod.s3.amazonaws.com/2017/07/13/09/14/40/461/filieresproductionnergie_sante_final.pdf
[17]http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installationsnucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/fukushima-2016/Documents/IRSN Fukushima sante-travailleurs 201603.pdf
[18] http://transition.wifeo.com/les-externalites-des-energies.php
[19] https://www.andra.fr/les-dechets-radioactifs/les-solutions-de-gestion/stockage-en-surface
[20] https://www.cigeo.gouv.fr/
[21] Du nom du village le plus proche de la centrale
[22] https://www.sfen.org/rgn/competences-nucleaire-francais-defi-demain/
[23]https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=104AF2DA-FA4D-4BED-B666-4D582E2C7A8A&filename=1505%20-Rapport%20Flamanville%20pdf.pdf
[24] https://www.bvoltaire.fr/point-de-vue-ces-grandes-ecoles-francaises-en-pleine-tempete-climatogauchiste/
Extrait du livre de Philippe Charlez, « Les 10 commandements de la transition énergétique », publié chez VA éditions
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Le nucléaire, une technologie victime des passions politiques françaises - Atlantico